Tonneliers de la Morlachère
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Publié ici une première fois en décembre 2016, sous le titre Les tonneliers de la Morlachère, cet article, qui a été considérablement enrichi par les apports respectifs des deux petites-filles d'Alexandre Ollivier et d'Eugène Lemerle, a fait l'objet d'une deuxième publication, en juin 2019, dans la revue Regards sur Vertou au Fil des Temps (n°14). Enfin, vous trouverez ici une troisième ( et sans doute dernière ! ) édition du même article, augmenté de plusieurs éléments précisant le parcours militaire de nos deux héros.
Au tournant des XIXème et XXème siècles, la Morlachère constituait un écart du village du Chêne. Ce hameau composé d'une dizaine de maisons, serrées les unes contre les autres, dominait la Sèvre à une petite centaine de mètres de l'entrée sud du village. Parmi les soixante-huit hommes du Chêne mobilisés entre 1914 et 1918, seize ne sont jamais revenus. Deux d'entre eux étaient de la Morlachère.
Alexandre Ollivier, le plus âgé, y était né en 1881. Très tôt, ce fils unique avait accompagné son père, au long de ses « journées » sur les terres des uns ou des autres, et, quand il quitta les bancs de l'école, il devint « jardinier » à son tour. Il n'échappa aux horizons limités de sa modeste condition que pendant les trois années de son service militaire. De 1902 à 1905, Alexandre avait en effet brillamment accompli son temps au 102ème Régiment d'Infanterie, à Chartres, et en était revenu avec le grade de sergent-major.
Ce beau parcours lui avait sans doute donné un brin d'assurance et d'ambition, si bien que, vers l'âge de 26 ans, il avait abandonné la fourche et la bêche pour la « colombe » et la batissoire. Il faut dire qu'il y avait déjà un tonnelier dans la famille. Jean Ferdinand Bahuaud, son oncle maternel, installé sur la Grande Place de la Barbinière, n'était pas étranger à cette vocation tardive. Cette « reconversion » alla de pair avec son mariage. En 1909, Alexandre épousa Madeleine Nicolon, dont le frère, Jean-Baptiste, était un tonnelier et négociant en vins bien connu à Vertou.
Alexandre quitta alors la Morlachère pour s'installer avec sa jeune épouse à la Barbinière, place Basse, et se rapprocher ainsi de l'oncle Bahuaud. Madeleine donna bientôt deux enfants à Alexandre : Alexandre et Madeleine, comme de juste, le premier en 1910, la seconde en 1912. Entre ces deux naissances, en 1911, Alexandre s'était mis à son compte et s'était associé avec Louis Sauvage, le fils d'un charcutier du bourg. Ils avaient monté leur affaire place du Chêne où Alexandre s'était installé avec sa petite famille. Mais bien vite l'association avait volé en éclats à cause de désaccords sur la répartition du travail et Alexandre avait continué seul.
Le deuxième tonnelier de la Morlachère, quant à lui, était originaire de Haute-Goulaine où il était né en 1887. Eugène Lemerle était arrivé sur les bords de la Sèvre, avec sa mère et sa sœur, autour de 1903. Apprenti puis compagnon tonnelier, il travaillait en bas de la Grand'Rue, chez Nicolon, le futur beau-frère d'Alexandre. Orphelin de père, il fut reconnu « soutien de famille » et fit un service militaire raccourci à deux ans au 64ème Régiment d'Infanterie caserné à Ancenis. Il en revint sergent. Deux ans plus tard, en novembre 1912, Eugène épousa une jeune fille originaire de Saint Julien de Concelles, Berthe Mariot. Seulement âgée de 18 ans, elle était alors domestique chez Jean Formon, un autre tonnelier du bourg. En 1914, elle lui donna un fils, prénommé Eugène, comme de bien entendu. Et puis la guerre éclata...
Rappelés tous les deux le 3 août 1914 au 64ème R.I., Alexandre et Eugène ont sans doute voyagé ensemble jusqu'à Ancenis. Puis le sergent-major Ollivier et le sergent Lemerle ont rejoint leurs compagnies respectives et ont embarqué vers le front deux jours plus tard. Ensuite ils ont connu le baptême du feu à Maissin, en Belgique, pendant la bataille des Frontières, puis le repli jusqu'en Champagne, la bataille de la Marne, au cours de laquelle Eugène a été blessé par éclats d'obus à l'épaule et à la nuque. Après la Course à la Mer, commença à l'automne 14 la guerre des tranchées, avec les furieux combats de La Boisselle, dans la Somme, puis devant Hébuterne au printemps 1915. Même s'ils combattaient dans le même régiment, rien ne dit que nos deux tonneliers aient eu l'occasion de s'y rencontrer : un régiment d'infanterie comptait alors plus de 3000 hommes et à moins de servir dans la même compagnie, la probabilité de se retrouver entre « pays » était bien faible...
A l'automne 1915, le 64ème participe à la seconde bataille de Champagne puis reste sur ce secteur. Le 23 janvier 1916, Eugène y est promu adjudant. Mais début juin, le régiment prend la direction de Verdun où la bataille fait rage depuis déjà plusieurs mois. Notre nouvel adjudant va s'y illustrer au point de mériter la Croix de Guerre avec étoile de bronze et une citation à l'ordre de la brigade : « Modèle de sang froid et d'énergie, s'est conduit vaillamment à l'attaque du 21 juin en maintenant ses hommes à leur poste de combat sous un feu d'une extrême violence »...
Après un mois de repos près de Bar-le-Duc, le 64ème reprend la direction de Verdun et le secteur des Hauts de Meuse où Alexandre, pour sa part, se voit souvent confier des missions d'estafette. Or, en septembre, de longues journées de pluie rendent les déplacements de plus en plus pénibles et périlleux. Dans la nuit du 20 au 21, le convoi de ravitaillement que commande Alexandre et qui chemine péniblement vers la première ligne, dans l'obscurité et dans la boue, est soudain soumis à un violent bombardement. Le sergent-major Ollivier n'y survivra pas... C'est à titre posthume qu'il sera décoré de la Croix de Guerre avec étoile d'argent et cité, quelques jours plus tard, à l'ordre de la Division en ces termes : « Excellent gradé, au front depuis août 1914, homme de devoir, était un auxiliaire précieux pour le commandant de la compagnie. A été mortellement blessé en assurant le ravitaillement de la 1ère compagnie le 21 septembre 1916 à La Laufée »...
Combien de temps a-t-il fallu pour qu'Eugène Lemerle apprenne la mort de son collègue et voisin ? Pour lui, en tout cas, la guerre continue. Le 64ème quitte Verdun en février 1917 et, après quelques semaines de repos, prend la direction du front de l'Aisne. C'est là, à quelques kilomètres de Saint Quentin, que, dans la soirée du 18 juillet, un tir de barrage aussi soudain que violent surprend les hommes du 64ème. L'adjudant Lemerle est grièvement blessé par éclats d'obus : broiement de l'épaule gauche, plaie à l'abdomen... Il est transporté à l'ambulance 5/59 de Cugny, à une quinzaine de kilomètres du front, mais il y meurt deux jours plus tard, le 20 juillet 1917.
Ainsi sur les trois hommes de la Morlachère mobilisés pendant la Grande Guerre, deux sont Morts pour la France à moins d'un an d'intervalle. On raconte que pour célébrer l'armistice on aurait planter sur le commun du hameau, dans les jours qui suivirent le 11 novembre 1918, le majestueux tilleul que l'on peut encore admirer de nos jours. Cet arbre de la paix portait une inscription commémorative que les Allemands auraient fait disparaître en 1940. Les veuves et les orphelins de nos deux sous-officiers ont-ils assisté à la plantation de cet arbre aujourd'hui remarquable ?
Madeleine Ollivier et ses enfants resteront place du Chêne jusqu'en 1926 avant de retourner à la Morlachère où leur belle-mère et grand-mère vient de s'éteindre. C'est là qu'Alexandre fils s'établira et travaillera comme agriculteur jusqu'en 1979 ; le dernier de l'histoire du village...
Au lendemain de la guerre, Berthe Lemerle fera le chemin inverse : elle quittera la Morlachère pour la place du Chêne où elle reprendra l'ancien café Bureau qu'elle exploitera jusqu'en 1945. Eugène fils, devenu médecin entre temps et désormais installé à Savenay, la fera alors venir auprès de lui.
Mis en ligne le 25 septembre 2020
Sources :
Recensements nominatifs de la population vertavienne de 1881 à 1931 (A.D.L.A.)
Registres matricules (A.D.L.A.)
Journal des Marches et Opérations du 64ème R.I. (www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/)
Témoignages et récits familiaux
Remerciements :
à Mme Marie-Paule Ollivier-Castro-Gutierrez, petite-fille d'Alexandre Ollivier, et à M. Castro-Gutierrez pour leur accueil et leur aide,
à Mme Marie-Françoise Lemerle-Guillotin, petite-fille d'Eugène Lemerle, et à M. Hervé Le Quenven, généalogiste, qui m'a mis en relation avec elle.
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